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Ces récentes révélations pointent du doigt le dispositif d’écoute collaboratif « Stateroom » qui implique plusieurs ambassades et consulats australiens en Asie : Jakarta, Hanoi, Pékin, Bangkok ou encore Dili, dans le Timor Oriental. Des antennes dissimulées dans les recoins de ces bâtiments rendent possible l’interception de milliers de communications téléphoniques, radiophoniques et internet. Un travail de cache-cache méticuleux dont n’est informée qu’une minorité du personnel diplomatique. L’image embarrassante de « shérif adjoint » des Etats-Unis revient alors au galop, si bien que les commentateurs ont tôt fait de l’Australie le cheval de Troie des Etats-Unis en Asie. Retour sur cette actualité bruyante noyée dans le tourbillon des révélations Snowden.
L’espionnage indonésien : entre intérêt national et desseins américains
C’est l’espionnage de son voisin indonésien qui a sans doute fait le plus de bruit. Il a non seulement été le plus intense, mais aussi le plus dangereux : l’Indonésie reste une interface clé du développement australien dans la région et dans la coopération en matière d’immigration clandestine et de terrorisme. Le nouveau premier ministre australien T. Abbott, qui voulait mettre un point d’honneur au partenariat, a difficilement pu justifier l’exploitation gigantesque des réseaux de télécommunications indonésiens. D’autant que ce sont les communications des plus hauts fonctionnaires qui sont concernées. Les téléphones portables du président Susilo Bambang Yudhoyono, de sa femme et de figures importantes de son cercle proche ont ainsi été mis sur écoute pendant plusieurs semaines en août 2009.
Des procédés garants des intérêts australiens régionaux mais aussi de ceux des Etats-Unis, qui multiplient les conflits commerciaux avec l’Indonésie. En février, le New York Times révèle l’interception de communications entre le gouvernement indonésien et une entreprise de conseil américaine, Mayer Brown, par l’agence de surveillance australienne dans le cadre du programme Stateroom. Une anecdote dérangeante dont s’est rapidement justifié le Premier ministre australien : l’Australie ne rassemble pas de renseignements « au détriment des autres pays », « nous les utilisons aux bénéfices de nos amis (…) et certainement pas à des fins commerciales ».
Dans la foulée, l’affaire du sommet sur le changement climatique à Bali en 2007 - durant lequel les agences australiennes et américaines auraient saisi des informations sur des responsables de la sécurité indonésienne - révélée par le Guardian, n’a fait qu’accentuer la méfiance asiatique.
"Reveal their secrets, protect our own" : une collaboration effective entre la NSA et l’ASD
Avec plus de 2000 militaires et civils et un budget annuel de plusieurs millions de dollars, l’agence de renseignement australienne est en elle même un mastodonte. Selon le professeur Desmond Ball, spécialiste de l’espionnage à l’Australian National University, l’ASD partage bien des informations avec la NSA américaine. Il s’agit entre autre d’une collaboration physique, matérialisée par la base commune « Pine Gap » à côté d’Alice Springs dans le Territoire du Nord. Gérée conjointement par l’Australie et les Etats-Unis depuis 1966, elle dispose d’un personnel spécialisé dans l’espionnage de l’Indonésie et de la Chine.
Bien que gérés de façon autonome par l’ASD, trois autres sites participent au programme de coopération XKeyscore de la NSA. Les stations de Shoal Bay à côté de Darwin, de Geraldton dans l’Ouest et de HMAS Harman à Canberra sont concernées. Un quatrième site, récemment identifié par le Sydney Morning Herald dans les îles Cocos de l’Océan Indien, est chargé de la surveillance des communications des forces de la marine, de l’armée de l’air et de terre indonésiennes. S’y ajoutent un certain nombre de centres d’écoutes installés sur les grands câbles sous-marins transportant la majorité du trafic internet entre l’Asie et l’Amérique du Nord.
Une alliance historique : les Five Eyes
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le traité UKUSA (United Kingdom-United States of America Agrement) donne naissance à une association secrète entre les services de renseignements de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Cette coopération inclue objectivement l’Australie, alors dominion britannique, pour la placer durablement sous la tutelle américaine. Elle prévoit une répartition des zones d’interception des communications et donne à charge du géant océanique les écoutes de ses pays voisins, du Sud de la Chine et de l’Indochine.
Pensé pendant la Guerre Froide, ce système renait des cendres des attentats du 11 septembre 2001, auxquels le Patriot Act donne tous les outils de la vengeance : une liberté totale dans la récolte d’informations ayant attrait au terrorisme. Une multitude de programmes de coopération, dont le plus célèbre restera Echelon, dévoilé à la fin des années 1990, se succèdent. Parmi les plus récents mis à jour par l’affaire Snowden, Prism, Xkeyscore et Stateroom engagent tous l’agence de surveillance australienne.
Des révélations gênantes, le dilemme géopolitique australien
Si les intérêts entre américains et australiens sont bien réels, le géant australien entend bien resserrer les liens avec ses partenaires asiatiques prioritaires : la Chine, le Japon, l’Inde, mais aussi la Corée du Sud et l’Indonésie. Une série d’accords bilatéraux ont déjà été conclus et il est indéniable que les débouchés commerciaux, les enjeux migratoires et militaires y sont considérables pour l’Australie. Hugh White, ancien haut fonctionnaire australien et professeur à l’université de Camberra résume bien la situation :"Pour la première fois de notre histoire, nous nous trouvons dans la situation où notre plus grand partenaire commercial, la Chine, est en concurrence frontale avec notre allié historique, les Etats-Unis".
On aurait tort de tirer des conclusions hâtives sur le rôle régional de l’Australie vis à vis des Etats-Unis. S’il est certain que les révélations d’Edouard Snowden mettent bien le doigt sur des liens historiques étroits et une coopération toujours intense, l’Australie semble bien sur la voie d’une diplomatie singulière. En témoignent la multiplication des efforts économiques, politiques et culturels envers ses partenaires asiatiques. N’omettons pas non plus que l’espionnage reste une pratique courante et qu’il sert d’autant, si ce n’est plus, les intérêts nationaux.