Ada Kaleh : le destin tragique d’une île sacrifiée

Catinca Dumitrascu
13 Aout 2012


Ada-Kaleh (en turc "l’île de la Forteresse") était un petit bout de terre situé sur le Danube. Les légendes concernant sa beauté remontent au temps des dieux du mont Olympe, mais s’arrêtent brusquement dans les années 1970 quand elle disparaît au fond des eaux du fleuve. Ada Kaleh fut dynamitée sur l’ordre du dictateur roumain Nicolae Ceausescu, en 1971, lors de la construction de la centrale hydro-électrique des Portes de Fer. Revenons sur les traces de ce paradis perdu.


Il était une fois une île

L'île Ada Kaleh se trouvait à environ 3 km en aval de la ville d’Orsova (en Olténie, dans le Sud-Ouest de la Roumanie ) et avait une taille d'environ 1,7 km de long et environ 500 m de large.

A la végétation luxuriante, et au climat méditerranéen, Ada Kalé île était une destination touristique attrayante. Peuplée par environ 600 Turcs, l'île était célèbre pour la culture de roses et l’extraction de l’huile essentielle de rose.

Grâce à sa position stratégique Ada Kaleh joue un rôle important lors du conflit entre les Habsbourgs et l’empire ottoman. En 1689, l'armée autrichienne y construit une forteresse. Au fil du temps, l’île change plusieurs fois d’occupant et passe successivement entre les mains autrichiennes et ottomanes. A la suite du traité de paix de Belgrade en 1739, l'île entre en possession permanente des Turcs.

Oubliée par le Congrès de Paix de Berlin (1878), Ada-Kaleh reste une terre turque sous occupation austro-hongroise jusqu'en 1918/1920, quand elle devient territoire roumain.

L’île bénéficie de la protection du roi roumain Charles Ier, et ses habitants sont exemptés de taxes sur le commerce. Le tabac fabriqué sur l’île Ada-Kaleh devient célèbre, de même que les bijoux et les spécialités turques, le loukoum, la confiture de figue, etc. Aucune animosité ne règne entre les Roumains et les Turques de l’île. Les enfants apprennent même le roumain et le turque. Et cette atmosphère paradisiaque dure pendant un demi-siècle.

"Un jour nous avons vu des gens qui effectuaient des mesures sur l’île. J’ai senti alors qu'ils voulaient nous faire quitter notre terre. C’était en 1964-1965. Ils nous ont dit que c'était pour construire un barrage», se rappelle Durga Musref, un Turc né sur l’île.
Les principaux sites historiques de l'île sont détruits avant la création de la centrale hydro-électrique des Portes de Fer. La population insulaire majoritairement d'origine turque se déplace alors vers d'autres régions de la Roumanie (par exemple, la Dobrogea) ou émigre vers la Turquie.

A la mémoire de l’Atlantide roumaine

Le Musée du Paysan roumain de Bucarest organise une exposition sur le destin tragique de cette petite île du Danube, engloutie par les eaux agitées du fleuve au début des années 1970. L'exposition « Ada Kaleh, l’île de l’âme » ouverte du 2 au 19 août, met l'accent sur l'unicité de cet espace exotique, perdu à jamais. L'histoire de l'île se reconstruit, sous les yeux des visiteurs, grâce aux photographies issues des archives personnelles des anciens habitants, aux cartes postales, aux illustrations de l'époque et à quelques objets conservés. Sacrifiée sur l'autel du progrès technique, Ada Kaleh est disparu du paysage roumain, mais restera à jamais gravée dans la mémoire de ceux qui l’ont, un jour, connue.