Aujourd'hui, lorsque l'on parle d'1,5 million de réfugiés syriens au Liban, qui proviennent d'un pays aux connections - positives ou négatives - extrêmement fortes avec le Liban, on ne peut oublier la guerre civile, ses motivations et surtout ses dégâts. Les Libanais sont bien conscients du risque qui pèse chaque jour. Au Nord Liban, où se dirigent de nombreux réfugiés syriens, les habitants de Tripoli en témoignent : des tensions y éclatent régulièrement entre pro-Assad et anti-Assad, suivant le rythme des événements en Syrie et impactant par ricochet la vie des Libanais.
La perception politique du réfugié
Avec les réfugiés palestiniens éclosent deux discours politiques fondamentalement opposés. L'un regarde les réfugiés comme des voisins en détresse qu'il faut soutenir. L'autre les présente comme une source de troubles dans un pays à l'équilibre précaire. La signature du traité de Taëf en 1990 met officiellement fin à la guerre civile et en attribue la responsabilité à l'OLP, dont les actions furent menées depuis le territoire libanais, alimentant les tensions et attirant les représailles d'Israël. L'idée que la guerre civile au Liban est imputable à la présence, certes du siège de l'OLP mais par extension de Palestiniens sur le sol libanais, confirme la perception du réfugié comme fauteur de trouble. C'est que ce que l'on dénomme parfois le « syndrome palestinien » qui marque encore aujourd'hui la politique appliquée aux demandeurs d'asile.
Outre les relations au régime Assad et à la présence militaire, qu'il faut distinguer des relations au peuple syrien, « l'ouvrier syrien » est au Liban ce que le « plombier polonais » est à la France. À chaque pays ses boucs émissaires et dans le cas présent, c'est au travailleur venu de Syrie que l'on impute le manque d'emplois ; alors même que beaucoup de citoyens libanais délaissent volontairement le domaine de la construction ou du gros œuvre. C'est donc dans un état d'esprit bien particulier qu'il faut situer la gestion politique des réfugiés syriens au Liban.
L'arrivée sur le territoire
Le Journal International a pu rencontrer Habbouba Aoun, responsable d'un co-programme à l'Université de Balamand, qui se charge de coordonner les efforts des différentes initiatives et de former les ONG. Elle nous donne des éléments pour comprendre la situation actuelle.
Les problèmes de gestion commencent à l'arrivée sur le territoire libanais. « Dans le cas du processus légal, le réfugié rencontre les gens de l'UNHCR aux frontières officielles, qui l'enregistrent. Le réfugié est ensuite mené à un endroit où il pourra s'installer. S'il n'a pas de parents proches ou éloignés au Liban il sera redirigé vers un camp ». Or, le gouvernement, désinvesti de la question jusqu'en 2014, n'avait pas prévu de camps de réfugiés. Et si en septembre 2014 il en a ouvert deux, on dénombre aujourd'hui plus de 1500 villages de tentes improvisés, dont une grande partie dans la vallée de la Bekaa, où Habbouba Aoun concentre la majorité de ses actions.
Cependant, comme le souligne Habbouba, « Il y a deux façons de passer la frontière : la façon légale et la façon illégale. L'arrivée ne se passe pas exactement de la même manière ». Certains arrivants ne s'inscrivent pas auprès de l'UNHCR. « Parfois ils ont peur à cause de la situation politique, de leur passé politique en Syrie. S'ils sont réfugiés, c'est à cause d'un conflit qui oppose différentes parties dans leur pays et ça, il ne faut pas l'oublier ». Malgré le fait que beaucoup de Syriens avaient des pieds-à-terre au Liban, nombreux sont ceux qui ont fui, qui ont tout quitté, pour l'inconnu. « La réponse doit se faire rapidement, face à l'afflux de personnes sans toit et sans ressource, qui ont dû tout laisser derrière eux ». Habbouba souligne également que les réfugiés « ne savent pas non plus forcément ce que le droit international leur réserve ; à cause de ces différents passifs. Certaines personnes savent comment s'y prendre, d'autres l'ignorent ou parfois même ne veulent pas essayer, par méfiance ».
Les réfugiés et les Libanais qui vivent dans les communautés les plus touchées par l'arrivée de nouveaux habitants deviennent de plus en plus vulnérables. La situation s'étend dans le temps et les ressources s'épuisent. Le Programme alimentaire mondial (PAM) soutient également des milliers de familles syriennes, par une aide de 30 dollars par mois à chaque réfugié enregistré auprès des Nations Unies. La situation alimentaire et sanitaire est donc critique mais à cela s'ajoute l'incertitude de la durée, tant pour les réfugiés que pour les Libanais.
« Avec les chiffres qui augmentent, ce sont également les besoins qui se font de plus en plus pressants et la situation qui se dégrade » - Habbouba Aoun.
Les ONG pour pallier au désengagement de l'Etat
Le Liban est un des pays qui comptent le plus d'ONG et cette caractéristique ne date pas de 2011. Pourquoi autant ? Ces organisations non-gouvernementales pallient en l'occurrence à ce que l'administration ne fait pas. Lorsque l'UNHCR souffre que « L'hospitalité exceptionnelle du Liban sera mise à rude épreuve », il faut distinguer l'hospitalité des Libanais et l'hospitalité officielle choisie par le gouvernement. En plus de la politique vis-à-vis des réfugiés, le gouvernement tient également à adopter une posture politique de neutralité totale par rapport au conflit en Syrie. La « réponse humanitaire » se fait donc principalement en coordination entre l'ONU, l'UNHCR, les ONG locales et internationales et le gouvernement, depuis peu investi. Les ONG sont aussi nombreuses qu'hétérogènes dans leur degré d'engagement, leur niveau de formation, leur expertise, et donc leur efficacité.
Habbouba Aoun, avec son organisation au sein de la Faculté de Santé de l'Université de Balamand, se charge de coordonner les efforts des différentes initiatives et de former les ONG sur le terrain de la santé. Si son bureau se trouve à Beyrouth, son travail s'effectue la plupart du temps dans la Bekaa, auprès des réfugiés et surtout auprès de ceux qui s'en occupent. Le but est donc à la fois de coordonner tous les efforts qui ont lieu sous l'aura de la « réponse humanitaire » et d'assurer, du fait de son bagage en sciences de la santé, la formation sanitaire nécessaire aux personnes travaillant avec les réfugiés. L'organisation de Habbouba Aoun se concentre sur 4 types d'expertise. La première est le « wash », tout ce qui relève de l'eau et du sanitaire, la seconde est celle du Programme alimentaire mondial, le troisième secteur celui de l'éducation, et le quatrième, où se concentrent particulièrement les efforts de Habbouba, la santé.
L'éducation et la santé
L'éducation est donc une priorité et par son action, Habbouba Aoun et ses collaborateurs contribuent à former les ONG à cette question afin qu'elles s'occupent au mieux des réfugiés, au plus près de leurs besoins réels. Les enfants syriens, qui représentent la moitié des réfugiés, ont de graves problèmes de scolarisation au Liban, l'éducation y étant très différente de celle de leur pays d'origine. Au Liban, les enfants choisissent soit le français soit l'anglais dès l'école primaire, et suivent dans ces langues des enseignements généraux tels que les mathématiques ou l'histoire. En Syrie, l'enseignement est uniquement dispensé en arabe. L'éducation concerne la sécurité sur le territoire, également. Habbouba Aoun est coordinatrice du Centre de ressource sur les mines terrestres au Liban (Landmines Resource Center) et elle explique que ce problème est lié à la situation des réfugiés. Ces mines, présentes depuis la guerre civile et les conflits avec Israël, font l'objet d'un important travail de prévention.
« Le Liban est un pays contaminé et les réfugiés y sont en danger. Désormais, le territoire syrien est aussi exposé à ce problème. L'armée syrienne est accusée de placer des mines à la frontière afin d'empêcher les gens de quitter le pays et surtout les soldats de déserter ».
« Les gens ont donc besoin d'être éduqués à faire attention à ces mines, parmi lesquelles certaines sont visibles, mais certaines ne le sont pas ».
En plus de ces problèmes d'éducation et de sensibilisation aux risques du territoire, la gestion des problèmes sanitaires se révèle délicate. Les services hospitaliers du pays ne sont pas adaptés à cet afflux de population et aux risques de maladies qu'elle pourrait contracter. Le Haut Commissariat aux réfugiés fournit la majorité des soins mais rien n'est prévu en matière d'accidents, ou de traitement de longue durée. Le problème du financement est donc de plus en plus pressant, et ne concerne pas seulement le Liban. Comme le constate tristement Habbouba, « Dans le monde entier, le financement ne cesse de décroître ».
Un réfugié pour quatre habitants : qui aura son pain quotidien ?
Habbouba Aoun
« Le Liban n'a pas de ressources, on partage des ressources rares au sein d'une population qui se multiplie par deux ou par trois. Il n'y a pas d'eau et tout le monde veut boire. Il n'y a pas d’électricité et tout le monde en a besoin. Ça crée des tensions. Ce sont des nombres qu'on ne peut gérer ».