Un refuge pour la liberté de la presse

Lucas Chedeville
8 Septembre 2015



Algériens, Ivoiriens, Congolais, Syriens, Arméniens, Ouzbeks, depuis sa création en 2002 la Maison des journalistes a accueilli près de 300 journalistes étrangers, venus de soixante pays différents. Unique au monde, l’association se dresse en rempart pour la liberté de la presse, trop souvent mise à mal autour du globe.


Crédit Lucas Chedeville
Crédit Lucas Chedeville
Tarik est un Syrien d’une trentaine d’années. Journaliste de l’opposition, il réalise une série de reportages sur la vie des populations dès les prémices de la guerre, à contre-courant des images de propagande diffusées par le régime Assad ; reportages qui le conduiront inévitablement en prison. À sa sortie, il fuit vers la Jordanie voisine pour continuer son travail d’information où il filme les malheurs de son peuple dans les camps de réfugiés. Face aux menaces de plus en plus présentes, il s’exile à nouveau et trouve refuge en France, il y a un peu moins d’un an. 

Un lieu d’accueil

Tarik fait parti des quinze hommes et six femmes qui logent actuellement dans les locaux de l’association. En plus d’un toit, les « locataires » y trouvent une aide sociale pour les accompagner dans le casse-tête que sont les démarches administratives : demandes d’asile, Pôle emploi, couverture médicale, recherche de logement,... Ils suivent des cours de français, indispensables pour s’intégrer tant socialement que professionnellement en France. 

Chacun dispose d’une chambre individuelle. Financées majoritairement par les médias français, les chambres portent les noms de leurs mécènes. Ainsi, on trouve la chambre « Canard Enchaîné », la chambre « Ouest France » ou la « La Voix du Nord ». La cuisine est commune, tout comme l’espace de travail, petite salle avec ordinateurs et accès wi-fi pour l’écriture d’articles et les recherches. 

Donner la parole aux exilés

Auparavant, l’association était en partenariat avec beaucoup de grandes écoles de journalisme françaises, telle que l’ESJ Lille, arrêté depuis, faute à la barrière de la langue et à la difficulté pour beaucoup de reprendre des études après avoir travaillé dix, vingt ou trente ans dans le milieu de la presse. En revanche les programmes d’échange se poursuivent à travers deux projets : Renvoyé Spécial et Presse 19. Le premier est un programme en collaboration avec le Ministère de l’éducation nationale et Presstalis, société de distribution de presse, où les journalistes interviennent devant des lycéens afin de partager leurs expériences, de discuter de la situation de leur pays d’origine, de mettre en avant leur culture et de débattre ensemble sur la question de la liberté de la presse. 

Presse 19, référence faite à l’article 19 de la Déclaration universelle des droit de l’Homme : « Tout individu a le droit à liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». La première, et seule pour le moment, édition a eu lieu à Turin en novembre dernier. En collaboration avec l’association Caffè dei Giornalisti, deux journalistes de la Maison, la Tchétchène Zara Mourtazalieva et l’Azeri Agil Khalilov sont venus s’entretenir avec les étudiants en sciences juridiques, politiques et économiques de la ville. 

Le hall de la Maison, en ce moment occupé par l’exposition « Alep Point Zéro » du photojournaliste syrien Muzaffar Salman. Crédit Lucas Chedeville
Le hall de la Maison, en ce moment occupé par l’exposition « Alep Point Zéro » du photojournaliste syrien Muzaffar Salman. Crédit Lucas Chedeville
« L’objectif, à travers ces projets, est d’ouvrir les jeunes à des sujets qu’ils ne connaissent pas forcément ou qu’ils connaissent mal. On cherche à créer un débat d’idées. C’est une rencontre, plus qu’une conférence » explique Darline Cothières, directrice de la Maison. L’échange se poursuit avec le média de l’association, L’Oeil de l’exilé, lieu où les journalistes peuvent continuer d’écrire sur les événements qui se déroulent dans leurs pays d’origine. Les journalistes contribuent également au Blog de Médiapart.

Un observatoire de la situation de la presse dans le Monde

Les attentats de janvier qui avaient suscité une vague d’émotions dans le monde entier n’ont pas eu d’incidence réelle sur les apports financiers de l’association. En revanche, les demandes d’interventions de professeurs et proviseurs de lycées se sont multipliées dans les mois qui ont suivi. « Il était important de venir expliquer aux jeunes que la liberté d’expression est un droit fondamental, tout en relativisant sur la chance d’être en France mais que le combat continue et la vigilance quant à ces atteintes doit être constante » poursuit Darline Cothières. 

À travers les différentes nationalités des journalistes, on peut aisément faire un rapprochement avec l’actualité des conflits dans le monde. Les récentes opérations en Afrique, Mali, Congo, Centrafrique, ont vu beaucoup de journalistes chercher un refuge loin des persécutions. Il y a quelques temps, c’était la Syrie et l’Irak qui apportaient le plus grand nombre de persécutés. Cependant il ne suffit pas de prendre en compte le seul critère des conflits. Darline Cothières cite des pays comme la Chine, l’Iran ou l’Azerbaïdjan (respectivement 176e, 173e, et 162e sur 180 pays du dernier classement sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières), pas directement en proie à la guerre mais où les journalistes sont muselés et viennent se réfugier auprès de l’association. « Nous sommes une sorte d’observatoire, de baromètre de l’évolution de la liberté de la presse et d’expression dans le monde » conclut la directrice. 

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