Par habitude, lassitude ou pragmatisme, la Thaïlande évite pour le moment le pire et la guerre civile, un an après le coup d'Etat mené par le pouvoir militaire ayant débouché sur la nomination de son chef, le général Prayuth, au poste de Premier ministre. En mai 2014, le pays était le théâtre de violents affrontements entre les partisans de la Première ministre démocratiquement élue, Yingluck Shinawatra, destituée de ses fonctions par la justice, et ses opposants, majoritairement composés des élites thaïlandaises, des ultra-monarchistes et des militaires. C'est donc dans un contexte de fortes turbulences que la junte s'était emparée du pouvoir, avec la bénédiction du roi, âgé de 87 ans, et vénéré dans le pays.
Un an plus tard, force est de constater le statu quo. Dirigé d'une main de fer par le général Prayuth, le pays ne semble pas prêt à renouer avec des élections démocratiques. Ces dernières ont à nouveau été repoussées, cette fois à fin 2016. Une échéance éloignée devait laisser le temps à la junte militaire d'achever une nouvelle réécriture de la Constitution thaïlandaise – il s'agirait de la dixième en un siècle – qui serait naturellement conforme aux principes qu'elle défend, et particulièrement à la monarchie en place.
Car si le pouvoir militaire a réalisé ce coup de force en mai 2014 c'est avant tout dans le but d'éviter de voir la monarchie remise en cause. Yingluck Shinawatra, et avant elle son frère Thaksin, qui fut également Premier ministre du pays de 2001 à 2006 avant de lui-même se faire renverser par un putsch, sont accusés par leurs opposants de chercher à remettre en cause la monarchie. Au fond, comme le résume Le Figaro, la nouvelle Constitution voulue par la junte cherche à saper « La jeune démocratie thaïe, au profit de l'establishment royaliste de Bangkok, dont la prééminence avait été bousculée par les urnes et l'ascension de Thaksin », puis par celle de sa sœur.
En attendant, le pouvoir en place accroît son emprise sur le pays, par le biais d'une répression de plus en plus virulente et à la faveur des appels au calme répétés de Yingluck Shinawatra. Premières cibles du général Prayuth : les journalistes critiquant le régime. En mars, le Premier ministre a été jusqu'à menacer de condamnations à mort ceux « qui ne rapportent pas la vérité », tout en leur conseillant de travailler de manière à favoriser la « réconciliation nationale ».
D'une manière générale, la loi martiale prévaut en Thaïlande depuis mai 2014 et interdit toute réunion politique. Outre les médias, le gouvernement s'en prend plus largement à tous les partisans de la famille Shinawatra et a même rétabli l'usage du crime de lèse-majesté. Guère invoqué en Thaïlande, et surtout pas contre des membres de la société civile, il a été remis au goût du jour et un homme a été condamné en mars à une peine de 25 années de prison pour des commentaires jugés insultants pour le roi, écrits sur Facebook.
Pour l'heure, face à cette dérive autoritaire et malgré le flou artistique autour du contenu précis de la future Constitution et de la date des prochaines élections, la communauté internationale reste très silencieuse. L'Union européenne ou encore les États-Unis se sont contentés de condamner le coup d'État et d'appeler à un retour de la démocratie, sans mentionner de quelconques mesures de rétorsion. Une attitude dommageable et, à terme, préjudiciable, du moins pour l'Europe, dans la mesure où la crédibilité de sa diplomatie naissante pourrait être entachée.
Comme l'a expliqué Gothom Arya, directeur du Centre de recherches pour l'établissement de la paix, pour Libération, la future Constitution « est un projet rédigé avec la pensée que les politiciens sont mauvais, qu'on ne peut pas leur faire confiance et qu'il n'y a que les membres des assemblées (nommées par les militaires) qui peuvent continuer à faire des réformes ». La Thaïlande n'est pas la priorité de l'Union européenne ou de la communauté internationale, mais leur attention au sujet de ce pays devra s'accentuer sensiblement pour éviter l'instauration d'une dictature durable.