« Taiwan n'est pas à vendre ! »

Emmanuel Girard et Florian Lassous
1 Avril 2014



Depuis plus de dix jours, Taiwan fait face à une révolte étudiante, crise dont l'ampleur a réussi à s'exporter à l'étranger, comme nous le démontre le Collectif lyonnais de soutien à la démocratie et à la liberté à Taiwan. Rencontre avec le responsable du mouvement.


Crédit Jon Solomon
Crédit Jon Solomon
Taipei, 30 mars 2014. Des centaines de milliers de Taiwanais défilent dans les rues de la ville et occupent le Parlement pour manifester contre la politique du président Ma Ying-Jeou et plus particulièrement contre un accord commercial conclu avec la Chine, l'ALEST, accord prévoyant la libre circulation des services et des capitaux entre les deux pays. Selon cet accord bilatéral, Taiwan ouvrirait sa porte aux investissements chinois dans soixante-quatre secteurs d'activités, couvrant plus de mille métiers, dont certains très sensibles. Il mettrait ainsi en danger la sécurité nationale et la démocratie.

Le Journal International a eu l'occasion de rencontrer dimanche 30 mars à Lyon quelques manifestants se réclamant « amis de la démocratie à Taiwan », apportant ainsi leur soutien à la « Révolution des Tournesols ». Leur but : dénoncer la menace politico-économique que fait peser l'accord sur Taiwan, protéger l'indépendance taiwanaise et enfin, renégocier l'ALEST dans le cadre du droit international, c'est-à-dire sous l'égide de l'OMC.

Crédit Jon Solomon
Crédit Jon Solomon
Le Journal International : Tout d'abord, en quoi consiste l'accord sino-taiwanais ?
 
Jon Solomon, professeur à l'université Jean Moulin Lyon III : Il s'agit d'un accord faisant partie d'un pacte plus large voté en 2010, l'ECFA (Economic Cooperation Framework Agreement), accord de libre-échange économique entre la Chine et Taïwan dans plusieurs domaines mais le compromis qui a en particulier mis le feu aux poudres porte sur l'ouverture à des entreprises chinoises des secteurs des services à Taïwan. Ce qui laisserait la possibilité à des entreprises chinoises d'investir, rendant ainsi Taïwan dépendant. Ce pays faisant partie de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), cet accord aurait du être mis en oeuvre sous sa protection. Les accords existent depuis longtemps entre la Chine et Taïwan mais la dépendance économique est de plus en plus acerbe ces dernières années. Il convient de noter qu'en terme de système politique, Taïwan reste tout de même autonome par rapport à la Chine puisque ces deux pays ne reposent pas sur le même système politique. Mais là encore, le gouvernement actuel taïwanais voudrait nous persuader d'une séparation possible entre le politique et l'économie or, nous savons très bien que cela est faux.
 

JI : En quoi cet accord signifie la vente de Taiwan à la Chine ?
 
JS : Taiwan étant un pays « développé » dans le sens du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), l'économie des services à Taïwan prend une place considérable. Par exemple, cela fait déjà plusieurs années que la Chine a un pouvoir considérable sur le secteur industriel, et beaucoup d'entreprises ont été délocalisées en Chine. De plus, Taïwan reste dépendant en matière agricole vis-à-vis de la Chine du fait des spécificités de sa géographie (rappelons que Taïwan est une île). Aujourd'hui, l'industrie des services à Hong-Kong comme à Taïwan est gérée par les chinois et cela pose beaucoup de problèmes au niveau de la censure dans l'édition et la presse. Ainsi, certains médias à Taïwan sont déjà financés par la Chine, et rien que cette semaine plusieurs journaux ont décrit les étudiants comme étant des terroristes. Des députés de la majorité ont par la suite eu l'audace de qualifier les manifestants de « futurs terroristes d'Al-Qaida ».

JI : Pourquoi est-ce que ce sont principalement des étudiants qui manifestent ?
 
JS : Il y a plusieurs raisons : déjà la peur que certains partis tentent de reprendre à leur compte le mouvement alors qu'ils ne souhaitent pas s'inscrire dans un parti en particulier. Les étudiants partent du principe qu'ils sont là pour défendre leur avenir et celui de leur pays, mais ils sont également présents pour s'assurer de l'avenir démocratique de Taïwan. Les étudiants ont occupé le Parlement car le gouvernement a passé le pacte en force, mais enfin n'oublions pas l'impact des réseaux sociaux, énormément utilisés par les jeunes, dont le rôle a été majeur dans ce rassemblement.

JI : Peut-on faire un rapprochement entre la volonté unificatrice de la Chine et celle de la Russie vis-à-vis de la Crimée actuellement ?
 
JS : C'est compliqué de rapprocher les deux cas car ce n'est pas le même type d'annexion. La Chine n'est pas intéressée d'envahir militairement Taiwan et ce n'est pas dans son intérêt car la communauté internationale condamnerait cet acte. Simplement, l'économie permet une intrusion plus discrète soumettant légalement Taïwan a l'économie chinoise. Et l'autre différence vient du fait que le gouvernement taïwanais en place est favorable à un rapprochement avec la Chine, mais pas les étudiants. Selon un récent sondage, 60% des Taiwanais sont défavorables à cet accord, raison pour laquelle le gouvernement a passé le pacte en force.

JI : Par cette manifestation quel message voulez-vous lancer au président taïwanais Ma Ying-Jeou ?
 
JS : Nous voulons qu'il entende le peuple, qu'il entende les jeunes. L'important ici est de comprendre que nous ne sommes pas un mouvement d'un jour, en colère contre un accord en particulier, mais qu'il s'agit bien d'un mécontentement général faisant suite à un certain nombre de mesures critiquables, notamment sur le nucléaire. Aujourd'hui à Taïwan, on attend entre 500 000 et 800 000 personnes dans la rue. Par ce genre de manifestation, Taïwan peut faire entendre sa voix alors même qu'elle ne siège pas à l'ONU et qu'elle n'a aucune représentativité internationale.

JI : N'avez-vous pas peur d'un 28 février 1947 bis (plus connu sous le nom de massacre 228 ou incident 228), jour où le Kuomintang avait tué 10 000 personnes lors d'une manifestation anti-gouvernement ?
 
JS : Si jamais il y a une répression, elle ne sera pas aussi sanglante qu'à l'époque car Taïwan se couperait immédiatement l'herbe sous le pied, mais je ne pense pas que cela arrivera car nous nous revendiquons pacifiques. Si cela arrive, la violence viendra forcément de l'Etat, mais ce ne sera jamais aussi violent que le 28 février 1947, qui est une terrible cicatrice pour l'histoire de Taïwan. Il est temps de faire entendre notre voix car si un jour, Taïwan tombe sous l'emprise de la Chine, nous n'aurons plus les moyens de nous faire entendre.

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