Qandisha, la libre parole marocaine

1 Juin 2013



Dans le paysage de la presse marocaine, Qandisha.ma est apparu tel un ovni, offrant un espace libre à tous ceux qui par avant rêvaient de faire entendre leur voix. Découverte d’un « magazWine » pas comme les autres. Entretien avec Fedwa Misk, fondatrice de Qandisha.ma.


Crédit  Photo -- Olivier Pontbriand - LaPresse
Crédit Photo -- Olivier Pontbriand - LaPresse
Le magazine Qandisha est un site collaboratif féminin d’actualité et de débats, qui se positionne sur sa différence et une volonté anticonformiste. Prônant un modèle de journalisme collaboratif en ligne, Qandisha représente cette génération montante qui émerge au Maroc, pleine de nouvelles idées et de volonté de changement.
 
Un magazine qui se veut journalistique et de libre parole, un média porte-voix aux femmes actives et citoyennes. Vulgairement, on est face à une production qui se veut un féminin intelligent, loin du diktat de la pub, qui parle aussi (et surtout) d’actu et d’idées. Un féminin sans rubrique cuisine, ni mode, ni beauté, ni coiffure, ni people... Ce qui est pour le moins rafraîchissant. Dès le lancement du magazine, l’écho de ses articles dépasse le premier cercle des collaboratrices et de leurs amis. Les premiers jours drainent près de 7 000 visiteurs uniques. Sur Internet, ce « Magazwine », tel que l’appelle son équipe, suscite l’émoi. On lit, on clique, on aime, on partage sur les réseaux sociaux, on commente, on débat, on dénonce.
 
Qandisha.ma donne la tribune à une dizaine de figures féminines de la presse, des blogs et de la littérature marocaine, et donne aussi la parole à toute femme qui souhaite proposer un article en français, en arabe ou en anglais. Le magawine offrant aux femmes l’évidence de devoir se positionner, d’agir pour préserver leurs droits ou parfois justement même, pour les conquérir. Plus étonnant, c’est que les fans de Qandisha, sur la page Facebook du média, sont à 50% masculins. Ce qui dans la société marocaine ne peut être anodin, comme si une partie des hommes marocains avait désormais besoin d’une femme différente, qui revendique ses droits et qui s’exprime franchement.
 
Qandisha s'adresse à l'esprit des femmes, pour les femmes et par des rédacteurs femmes et hommes. Chroniques sociétales ou plus intimes, sérieuses ou drôles, revendicatrices ou plus légères, la plateforme est généreusement fournie par une multitude de contributeurs, tout heureux de trouver un espace d’expression et de partage. Une ouverture sur l’espace public pour justement un public peu représenté dont la parole a été trop longtemps minorée et étouffée. Après un an d'existence, la fondatrice, Fedwa Misk, post un billet anniversaire sur le site : « Au total, ce sont 80 collaboratrices et quelques dizaines de contributeurs qui ont pris part à cette expérience - des femmes et des hommes issus de milieux et d’horizons différents, qui ne partagent pas forcément les mêmes avis sur tout, mais qui embrassent tous un idéal commun d’un Maroc libre et juste envers ses citoyens. »
 
Après dévoration des articles un à un, pas de doute, les articles sont engagés, les contributrices font preuve d’humour et de bons mots, on aime aussi la très bien sentie rubrique « texticule » qui donne la parole aux hommes, ou plutôt à « un homme » - les différents contributeurs étant « post-castraté » sous le simple et unique crédit auteur «  posté par un homme ».
 
Il est évident qu’une partie de cette liberté de parole a alimenté plusieurs polémiques et controverses. Reste que c’est le but-même du web-magazine de décoincer la parole féminine au Maroc et ailleurs. Il s’agit d’un projet d’émancipation où il n’est aucunement question de brider l’écriture et la liberté de ton de ses collaboratrices, chaque contribution à une valeur. Reste que le site a subi plusieurs fortes critiques et attaques comme en juin dernier, où il a été piraté. On pouvait notamment voir apparaître sur la Une les emblèmes royaux et la devise nationale « Dieu, la patrie et le Roi »…
 
Le grand coup de Qandisha reste la « lettre ouverte à Monsieur le Consul de France » par Salma ZazAhmed dans laquelle l’auteur s’était vivement indignée du comportement désobligeant et inacceptable des agents du service consulaire responsables des visas. Ce coup de gueule a enflammé la toile en 48 heures et a obligé le Consul à la recevoir, faisant ainsi de « la dénonciation, un moyen d’avancer ». Dénoncer oui, instrumentaliser la provocation, non.
 
Plus récemment, un billet simplement titré « Wiam… » dresse un portrait cru, mais terriblement réel, de l'implacable horreur humaine : récit atroce du tragique viol et de l'agression barbare de la petite Wiam. Ces lignes brutales indignent, agitent, provoquent sans jamais racoler, au contraire, le propos est maîtrisé et rend l’insupportable palpable. N'est-ce pas l'esprit de Qandisha, en fin de compte ? 

Entretien avec Fedwa Misk

Fedwa Misk, la fondatrice, modératrice et coordinatrice de Qandisha témoigne pour Le Journal International. Blogueuse depuis de nombreuses années, la jeune Marocaine a une bonne connaissance du monde du web. Pigiste pour plusieurs journaux et magazines marocains et étrangers, animatrice d’un café littéraire à Casablanca, Fedwa Misk a une solide plume journalistique. Pourtant celle-ci a suivi des études scientifiques, six ans d’études de médecine. Devant le succès de Qandisha, Fedwa Misk veut poursuivre son action en essayant de toucher de plus en plus de lectrices et de lecteurs, notamment par le biais de la création d’une émission de radio dans un premier temps, et pourquoi pas une webradio liée au webzine, par la suite. Entretien avec Fedwa Misk.

Le site Qandisha est apparu il y a un peu plus d’un an (le 14 novembre 2011), comment l'aventure est-elle née  ? Sur quelles volontés et sur quels messages s'est construit Qandisha? Pourquoi avoir choisi le personnage controversé de Aicha Qandicha dans la mythologie marocaine, comme symbole de votre magazWine ?
 
Qandisha est née d'une blague. Il s'agissait de montrer que les centres d'intérêt des femmes dépassaient « légèrement » le triangle mode-beauté-cuisine servi par la majorité des publications féminines. Pour nom, j'avais proposé Qandisha entre autres noms et termes marocains inspirant la force, la volonté, l'intelligence et la fierté. Qandisha a séduit tout le monde, d'autant plus que l'on s'attendait à déranger, vu les thèmes qu'on comptait aborder, exactement comme elle, ce qui lui avait valu une diabolisation séculaire.
 
 
Depuis plusieurs années, la plupart des médias français s'accordent pour dire que la condition des femmes au Maroc « s'améliore »... S'agissant en grande partie de la population à laquelle vous donnez la parole, comment jugez-vous l'évolution de la société marocaine, notamment sur la question de l'égalité des sexes ?
 
Tout est relatif. Si la condition de la Marocaine paraît acceptable par rapport à la femme orientale, elle reste encore déplorable vue de l'occident. Il est évident qu'il y a amélioration sur plein de points, étant donné les efforts titanesques des mouvements féministes au Maroc. Mais l'amélioration n'est pas uniforme, elle ne touche pas toutes les classes sociales ni toutes les régions du pays. Il y a encore pas mal de chemin à faire, surtout avec la recrudescence du conservatisme et l'analphabétisme rampant.
 
 
Qandisha dégage une importante parole « dénonciatrice et combattante », est-ce une manifestation plus large d'un refus de l’ordre établi et d'une intention de lutter pour changer la donne, une lutte pour émanciper le peuple marocain ?
 
Si l'on pouvait changer les choses en râlant, ce serait miraculeux. On aimerait, bien entendu, voir le changement s'opérer au niveau des mentalités et des comportements. Mais nous sommes conscientes que c'est un travail de longue haleine qui se fera sur des générations. Puisqu'il faut commencer quelque part, j'ai choisi pour ma part de parler pour moi, pour les personnes qui me ressemblent et de donner la parole à toute femme qui voudrait en faire autant. Inviter la femme à donner son avis sur la chose publique, sur les affaires communes, l'aidera à sortir de sa dépendance vis-à-vis de la pensée masculine (pas forcément machiste), à mûrir sa réflexion et son aptitude au débat pour devenir citoyenne active. C'est un premier pas vers le changement.
 
 
Au cours de cette année, vous avez été applaudies et encouragées. Comment expliquez-vous cet engouement ?
 
Je pense qu'il y avait un vide énorme qu'on a comblé naturellement, sans prétention et sur un ton très badin, plutôt engageant. Je me souviens que j'avais reçu une avalanche de mails d'encouragements, de femmes qui me remerciaient parce qu'elles ne se sentaient plus seules, d'hommes qui désespéraient de ne voir les femmes se rebeller sur leur condition et qui étaient heureux de voir débarquer Qandisha. Mais plus généralement, le net est pour les Marocains cet espace d'expression qui est venu pallier l'absence d'espaces réels de débat public.
 
 
Au contraire, vous avez subi de violentes attaques et de fortes critiques, vous avez été piratés, ou même lynchés sur certaines de vos prises de position. Quel est votre message pour ceux qui vous attaquent, ceux qui font preuve de rejet ?
 
Je reçois encore des insultes et des menaces sur le web. J'ai pris l'habitude. Ce qui est déplorable c'est que les attaques viennent souvent de personnes qui ne nous lisent pas ou qui ne lisent pas dans l'absolu. Pour les autres, je crois qu'ils finiront par accepter la divergence d'opinions, en apprenant à débattre. Enfin, j'espère pour eux, parce qu'on est là et on persiste...
 
 
Le site Qandisha ouvre la parole, choc parfois, dénonce sans relâche, fait réfléchir souvent … Mais a-t-il une réelle influence sur la « vie réelle » de la société marocaine, notamment sur les problématiques sociopolitiques marocaines ? De plus, le modèle collaboratif du magazWine est-il viable financièrement, pour continuer à dénoncer encore longtemps?
 
Depuis quelques années, il est évident que la limite entre la vie réelle et la vie virtuelle a tendance à s'estomper. Je peux vous assurer qu'on est lu, suivi et surtout écouté dans les sphères décisionnelles. D'autant plus que nos coups de gueule fédèrent souvent beaucoup de monde. Il y a des papiers qui inspirent, qui donnent des idées aux lectrices. Plusieurs Qandishates ont pu oser des démarches importantes grâce à leur confiance en notre soutien.
 
Pour ce qui est du modèle économique, j'ai tenu à garder Qandisha en dehors de toute considération matérielle, pour affirmer son intégrité et son indépendance totale. Maintenant, on peut réfléchir à une autre formule qui permette de nous développer, sans altérer l'essence du magazWine.
 


C'est ainsi que le site Qandisha ouvre la parole, choque parfois, dénonce sans relâche, fait réfléchir souvent… Et l'on souhaite que cela dure encore longtemps.

Qandisha, la libre parole marocaine

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1.Posté par Latifa Benjelloun Jbina le 26/08/2013 13:32
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Hello,
je découvre Qandisha now: les propos de sa fondatrice sur la femme marocaine m'ont plu beaucoup.
Pour moi, la nuisance, ce sont certaines émissions de télé, qui donnent au public un aspect négatif du couple marocain.
Quel mauvais exemple pour le spectateur ou la spectatrice analphabète , que ces dialogues criards et pleins d' agressivité!
on ne rit pas : c'est, au contraire, désolant!

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