Ils sont six à tenir cette conférence. Si les ténors de Podemos sont présents, comme l’eurodéputé Miguel Urban, le parti a aussi décidé de s’appuyer sur des membres de la société civile espagnole comme Leila Nachawati, spécialiste du Moyen-Orient pour le journal Eldiaro ou encore Itziar Ruiz, activiste des Droits de l’Homme.
Podemos commence fort et accuse. D’après l’eurodéputé, si l’Union européenne a dépensé 700 millions d’euros pour l’accueil des réfugiés et la garantie du droit d’asile durant ces cinq dernières années, elle en aurait dépensé 2 milliards pour renforcer ses frontières extérieures. Depuis le début de la crise, des mesures d’urgence ont certes été adoptées par le Parlement européen – notamment la réception de 160 000 demandes d’asile sur les deux prochaines années – mais le parti les trouve totalement insuffisantes face à cette crise qui « fait saigner les frontières de l’Europe ».
À l'échelle nationale, Miguel Urban rappelle que le gouvernement espagnol aurait progressivement compliqué les procédures de demandes d’asile en développant une politique qui est, selon lui, « très critiquable ». Il insiste particulièrement sur la légalisation du renvoi aux frontières des migrants, devenue effective en 2015 et qui s’est faite « contre la légalisation internationale » et signe la « dilapidation du droit d’asile ». En ce sens, le parti considère que cette crise est « une crise politique et des Droits de l’Homme, pas humanitaire ».
La société civile s’insurge également, par la voix d’Itziar Ruiz, de la gestion politique européenne de cette crise. Lors d’une énième réunion d’urgence européenne, Paris et Berlin ont appelé à la création de lieux stratégiques permettant de différencier, dans les pays du Sud européens comme l’Espagne, les migrants fuyant la guerre de ceux fuyant la pauvreté. Cette idée a été maintes fois condamnée par les associations de défense des Droits de l’Homme, qui considèrent que ces personnes sont victimes des politiques économiques asymétriques mises en place par les pays riches européens « contre les peuples d’Afrique du Nord et du Proche Orient ».
Garantir le droit d'asile et le respect des Droits de l'Homme
« Cela ne suffit pas de critiquer, ici nous avons des propositions », et la première présentée par le parti est de presser le gouvernement espagnol et l’Union européenne à garantir le droit d’asile et d’en finir avec la bataille des quotas. Cette crise européenne serait le résultat d’une crise du système international de protection des réfugiés, avec notamment la réponse aux demandes d’asile conditionnée par les politiques extérieures nationales, ainsi qu’un manque d’harmonie entre les politiques des pays européens.
Si des mesures d’urgence ont été prises par l’Union européenne, elles sont, d’après Miguel Urban, « indécises et tardives ». Il insiste sur la nécessité d’application stricte de la législation internationale, qui, selon l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, interdit l’expulsion ainsi que le retour aux frontières d’une personne dont la vie ou la liberté sont menacées. Pour cela, il énonce la volonté de créer des visas humanitaires et l’asile diplomatique à l’échelle européenne, et clame le rétablissement de la légalité aux frontières Sud de l’Espagne, condamnant ainsi la mise en place de hautes clôtures interdisant l’accès aux enclaves de Ceuta et Melilla, aux frontières du Maroc.
De la fin de l'Europe forteresse à une politique migratoire respectueuse
Pour rendre possible le respect de cette législation internationale, des droits de l’Homme et de la dignité humaine, le parti demande une augmentation significative du budget européen 2016, pour non seulement offrir une aide d’urgence de qualité, mais aussi mettre en place des partenariats et coopérations solides et durables entre les pays d’origines, de transit et de destination des migrants. Dans le but de promouvoir ces idées, l’eurodéputé a entrepris, dès le mois de septembre dernier, la visite de zones frontalières en Macédoine, Serbie ou encore en Hongrie pour rendre compte des conditions réelles rencontrées par les migrants. Il a parallèlement appelé à la mobilisation populaire pour soutenir les réfugiés dans tous les pays européens.
Aussi, le parti se fait entendre pour un changement de mentalité sur le statut et l’intégration des migrants. En ce sens, il pointe du doigt l’approche adoptée jusqu’à présent par les différents gouvernements espagnols, ayant considéré les migrants comme une population à part, ce qui aurait indirectement accentué leur vulnérabilité et leur exclusion. Pour ce faire, il propose des mesures urgentes nationales pour lutter et diminuer la violence et l’exploitation des migrants, en particulier à la frontière Sud du pays.
La définition d'une politique extérieure et stratégique nouvelle : une annonce électorale ?
Ces propositions sont ancrées dans un contexte électoral, avec la tenue des élections générales le 20 décembre prochain. En ce sens, elles s’inscrivent clairement dans la définition de la politique extérieure et stratégique du parti. Ses objectifs et valeurs sont clairs : la promotion des droits de l’Homme, de la démocratie ainsi que du développement social, économique et écologique durable.
Plus directement liée à la problématique des migrants, Podemos souhaite changer la politique espagnole dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord en s’attaquant directement aux injustices présentes dans les pays concernés, qu’il considère comme le cœur du problème. Son analyse de la situation est sombre et sans détour. Les pays sont non seulement victimes de l’abus de pouvoir d’une élite politico-économique agissant contre les intérêts sociaux de leurs populations, ainsi que d’une corruption récurrente, mais aussi, les interventions extérieures économiques et militaires de l’Occident ont généré la création de relations asymétriques qui affectent directement les populations locales. Face à cette situation, Podemos souhaite appliquer trois principes généraux dans la région : le respect des droits de l’Homme et de la pluralité religieuse et ethnique, une nouvelle politique extérieure active, et enfin le soutien aux processus démocratiques défendus par les peuples.
Le parti ne présente pourtant rien de concret quant aux actions potentielles à mener et aux partenariats à mettre en place. Même si Podemos se positionne sur la Syrie en appelant à la fin du régime de Bashar Al-Assad, sur l’Irak en prônant l’ouverture d’un dialogue avec le gouvernement en place ou encore sur l’organisation de l’État islamique en dénonçant le support idéologique et financier des pays du Golfe, ses engagements potentiels restent flous et à définir.
Une annonce gâchée par un scandale politique au sein du parti
Si par cette conférence, Podemos souhaitait faire entendre sa position à propos de la crise des migrants et proposer une nouvelle politique extérieure espagnole, le parti a manqué son but. Le 2 octobre dernier, Monica Gonzalez, conseillère financière de la mairie de Puerto Real (Cadiz) et membre du parti, a en effet comparu lors d’une audience publique sur l’affaire Eurowork et l’escroquerie de migrants sud-américains en 2007, affaire qui a totalement occulté la conférence #Europarefugio.
Eurowork, entreprise espagnole ayant des filiales en Amérique du Sud, avait promis à de nombreux migrants sud-américains un visa ainsi qu’un travail sur le sol espagnol en échange de la somme de 450 euros par personne. Après avoir récolté plus de 2,5 millions d’euros auprès de plus de 5 000 latino-américains, l’entreprise n’a jamais donné suite aux démarches administratives. L’ancien directeur, Luis Batlle, s’est exilé dès 2007, ce qui a fait de Monica Gonzalez l’administrative unique de l’entreprise, et par conséquent la seule responsable. Le directeur a été retrouvé en Thaïlande en octobre 2014 et a été condamné à 12 ans de prison. Toutefois, Monica Gonzalez doit aujourd’hui présenter sa version des faits devant la justice.
Le porte-parole du gouvernement andalou, Miguel Angel Vazquez du Parti socialiste PSOE, estime que cette affaire est une occasion pour le parti Podemos « d’appliquer son code éthique », en faisant référence à la volonté de Pablo Iglesias de mettre en place une « politique de mains dures » contre la corruption et autres délits incompatibles avec l’exercice d’une activité publique et politique. Le 5 octobre 2015, Monica Gonzalez, qui se considère comme « une victime de plus » dans l’affaire, a présenté sa démission au maire de Puerto Real qui, tout en l’acceptant, a dénoncé une « pression médiatique » insupportable.