Tout a commencé entre un grillage et le mur d’un immeuble. Andreas Richter, un styliste berlinois, voyait au fil du temps s’accumuler dans les endroits poussiéreux de son appartement de plus en plus d’objets dont il ne se servait plus, voire dont il ne s’était jamais servi. Dans ces cas là il nous reste d'habitude l’ultime espoir de pouvoir revendre dans un vide grenier pour trois fois rien cette vieille lampe que nous a donné notre grand-mère pour notre premier studio, puis qui finalement nous reste sur les bras.
Conscient de l’énergie que cela prendrait pour se débarrasser de tout, et las de voir son appartement crouler sous ses babioles, le jeune allemand a donc décidé de donner vie à ce qu’il a appelé la « Givebox ». Le principe est simple. Vous y prenez le tee-shirt de Bruce Lee qui vous a tapé dans l’oeil, et en échange vous pouvez rapporter cette lampe qui (peut être, même si les chances sont maigres) fera fureur auprès d’un étudiant qui cherche à son tour à meubler son premier studio. Ainsi en 2011, sur un petit bout de trottoir berlinois, Andreas a construit sa première Givebox comme une sorte de mini cabine téléphonique en bois, y a cloué quelques étagères, et a déposé ces objets qui juchaient ses étagères depuis bien trop longtemps.
Le « Freeganisme » à la sauce 2.1
Basée sur un principe de partage et d’échange donc, la Givebox participe au phénomène Freegan, un mouvement alternatif impulsé aux Etats-Unis à la fin des années 1990 dans la prolongation du concept de décroissance, qui se manifeste principalement par la consommation de tout ce qui est gratuit. Depuis on a pu voir s'organiser en Amérique du Nord comme en Europe tout un tissu d'associations collectant la nourriture dans les déchets des consommateurs ou des supermarchés pour lutter contre le gaspillage, organiser des systèmes de trocs pour dénoncer la surconsommation ou établir des réseaux de transports en commun comme le covoiturage pour réduire leur empreinte écologique.
A la construction d'un réseau « éco-conscient » s'ajoute aussi un véritable dispositif d'entraide et de solidarité, en particulier en temps de crise économique où beaucoup doivent faire face à un réel défi pour pouvoir joindre les deux bouts. Cette Givebox, dont le credo est « sharing is caring » (« partager c'est prendre soin » de l'environnement, de l'Autre,...), incite donc à adopter un comportement « eco-friendly », à réduire le gaspillage, et par extension à partager avec les autres. Le tout juste au détour d’une rue. Encore faut-il que le contrat de confiance soit respecté pour ne pas la voir se transformer rapidement en décharge publique...
La Givebox : plus qu'une mode, un autre mode de vie
D’aucuns associeront rapidement l’invention berlinoise à une sorte d’ « hipsterisme » chronique qu'incarnerait la capitale allemande depuis quelques temps. Pourtant, même si l’on peut parfois observer que le phénomène « hipster » surfe sur la vague du « vintage », du « DIY » (Do It Yourself) ou la « récup », la Givebox questionne un phénomène beaucoup plus large que celui d’une mode.
On pourrait en effet parler, en parallèle aux défis économiques auxquels nous faisons face depuis plus de cinq ans, d’un réveil des consciences, en particulier de celle de la « génération Y » qui a grandi avec l’internet et dont l’accès aux biens de consommation a largement été facilité au cours des vingt dernières années. Le troc incarne d’une certaine manière la dénonciation latente d’un consumérisme chronique. La Givebox colle donc bien avec cette idée qu'une meilleure manière de vivre et de consommer est possible, voire préférable !
Le début d'une belle histoire ?
La Givebox connaît depuis quelques temps un petit succès grâce à l’adoption croissante du concept dans toute l’Allemagne et à l'international (on en dénombre aujourd'hui plus d'une trentaine dans le monde), à des sites internets et pages Facebook qui fleurissent sur la toile, voire même à une application éponyme pour smartphones.
Cependant, malgré cet essor croissant, la Givebox, tout comme le système d’échange en général, répondent encore à un phénomène relativement restreint. D'une part du fait que le concept est récent, on ne peut encore en trouver que dans certaines grandes villes comme Berlin, Hambourg, ou dernièrement Montréal. Mais également parce qu'on se défait difficilement des mauvaises habitudes et que l’échange semble encore bien loin d'entrer dans notre quotidien…
C’est certainement sur le long terme que ce système - pourtant primaire -pourra se développer au point de devenir « normal ». Et si l’échange était la consommation de demain ? Restons optimistes : "Rome ne s’est pas faite en un jour", si ?