Rios Montt, l’ancien dictateur du Guatemala et général à la retraite accusé de génocide et de crime contre l’humanité, avait failli échapper à la justice. Jose Efraín Rios Montt a été l’un des dictateurs les plus sanguinaires d’Amérique Latine. Son mandat s’inscrit pendant la guerre civile du Guatemala (1962-1996), de mars 1982 à août 1983. L’année dernière, après que les preuves nécessaires avaient été réunies, il avait été poursuivi en justice pour répondre des crimes qui se sont déroulés sous sa politique de la terre brûlée. Mais le jeudi 18 avril, le procès avait été annulé par le tribunal en charge de l’affaire. Pendant qu’il était au pouvoir du pays, selon la CEH (Commission d’Eclaircissement Historique émanant de l’ONU), 448 villages ont été décimés, et 10 000 personnes exécutées officieusement. Le procès reprendra le 7 mai, selon Jasmin Barrios, la présidente du tribunal.
Le gagnant de la guerre civile
Au début du XXème siècle, United Fruit Company, une multinationale étatsunienne détenant le monopole sur le marché du fruit, était le groupe qui avait le plus de pouvoir économique et politique au Guatemala. A cause de l’accaparement du pouvoir par cette entreprise en 1944, une guerre civile s’est déclenchée, menée par les intellectuels pour rendre le pouvoir au peuple et ainsi établir la démocratie. En 1950, Arbenz a été élu président. Lui et sa politique, censée favoriser les pauvres et en finir avec le monopole, ont été les détonateurs de la guerre civile guatémaltèque qui, en 30 ans, affiche un bilan de 200 000 victimes, éliminant ainsi du pays une grande partie de la population indigène maya.
Le coup d’Etat de 1954 renversant Arbenz est appuyé par la CIA, du fait des intérêts économiques des Etats-Unis sur le marché du fruit. De plus, son gouvernement avait été qualifié de communiste. Cet événement, ajouté au racisme ambiant, a suffi à justifier le début de la guerre civile - une guerre mouvementée, de chaos politique, caractérisée par une succession de coup d’Etat. C’est donc par un coup d’Etat en 1982 que Ríos Montt est arrivé au pouvoir. En quelques mois, il dissout l’Assemblée, les partis, et s’autoproclame président de la république du Guatemala.
La carrière d'un des plus grands dictateurs latinos
José Efraín Ríos Montt (1926 -) commence sa carrière militaire à sa majorité. Très tôt il devient le directeur de l’Ecole militaire du pays. Peu de temps après il participe à une élection présidentielle qu’il perd ; son adversaire aurait commis des fraudes électorales. Il est ensuite envoyé en Espagne en tant qu’ambassadeur du Guatemala. Après cette période, il intègre l’Eglise Verbo, secte évangéliste, au sein de laquelle il se fait pasteur. C’est à ce moment-là qu’il est appelé pour occuper un poste dans l’armée qui gouvernera le pays après le coup d’Etat de 1982.
Ríos Montt, aussi appelé Ríos de Sangre Montt (ndlt : rivière de sang), réalise une des périodes les plus sanglantes de la guerre civile guatémaltèque. Derrière le leitmotiv « sauver le Guatemala du communisme », des crimes infâmes sont commis. Des amputations, de la torture, des viols, des exécutions sans discernement, dans le but d’anéantir la population indigène qui, selon eux, soutenait les révolutionnaires. Sa politique est celle de la terre brûlée, suivant ainsi la ligne de la guerre du Vietnam, et sous les conseils des militaires argentins. Sa méthode est d’« enlever son eau au poisson ». C’est ainsi qu’il brûle les champs, tue le bétail et rase les villages. Les enfants, les femmes et les anciens ne sont pas épargnés. Selon les organisations humanitaires, on lui attribuerait un total de 10 000 morts, et 448 villages rasés de la carte.
Une révolution pour le Guatemala
Ríos Montt serait le premier dictateur poursuivi en justice en Amérique centrale (ndlr: Manuel Noriega, ex-chef de l'Etat du Panama a été condamné aux Etats-Unis). Ce fait constituerait un tournant dans l’histoire du Guatemala. Le Guatemala est un pays où abondent la corruption, les assassinats, la drogue, sans que ces faits ne soient jugés par un tribunal. Par conséquent, ce procès n’est pas seulement celui de Ríos Montt mais bien une tentative pour réinventer l’Etat guatémaltèque. Selon les déclarations du ministre des Affaires étrangères du pays, Luis Fernando Carrera, lors d’une interview concédée à El País, ce procès traite de la réconciliation nationale ainsi que du problème de l’impunité. Ce serait le début d’une ère où l’impunité disparaitrait du quotidien des Guatémaltèques.
Ce procès, débuté le 20 mars dernier, avait pourtant été annulé. Jeudi 18 avril, il a été suspendu par la juge Carole Patricia Flores. Cette décision, applaudie par les défenseurs, avait été mal accueillie par l’accusation et le procureur qui la considèraient comme une offense aux victimes. Ce procès a déchaîné une vague de pressions venant par exemple des Vétérans Militaires du Guatemala (Amilgua), une des organisations qui avait le plus ardemment défendu Montt. La droite libérale l’avait également soutenu en affirmant que le procès ne ferait que provoquer la division dans le pays et perturber la paix. Cette même droite avait alors réuni une liste de signatures visant à invalider le procès en invoquant les pressions internationales qui empêchaient l’objectivité du jugement. Lors d’une des dernières séances de ce dernier, un des témoignages protégé par l’accusation via une vidéoconférence avait accusé l’actuel président du Guatemala, Otto Perez Molina, d’avoir participé aux tristes actes commis lors de la dictature de Ríos Montt.
Il existe pourtant des preuves suffisantes pour inculper l’ancien dictateur, notamment beaucoup de témoignages. D’ailleurs, la défense s’est retrouvée asphyxiée face à la force avec laquelle l’accusation s’est adressée à Montt. Depuis le début, celui-ci a essayé d’échapper au procès dont il est presque certain qu’il en sortirait coupable. Le dictateur avait voulu s’accrocher à la Loi d’Amnistie du Guatemala mais le juge avait alors refusé la demande invoquant le fait qu’une telle loi ne pouvait s’appliquer aux charges de génocide. Il a même essayé de s’excuser en disant qu’il n’avait pas ordonné les abus, et qu’il s’agissait d’actes indépendants commis par ses soldats. Cette affirmation, que l’on retrouve dans d’autres tribunaux où ont été jugés des génocidaires, tel qu’au Tribunal de La Haye, a été considérée comme manquant de validité juridique.
Il semblerait que le Guatemala ait besoin d’une solution à ce conflit. Les victimes de la guerre civile, ainsi que celles de la politique de la terre brûlée de Ríos de Sangre Montt espèrent que justice soit faite dans leur pays, que les coupables paient pour leurs crimes, que ces crimes soient jugés. Et que le procès puisse se terminer sans nouveau retard.