Un milliard pour une plateforme vidéo où des joueurs diffusent en direct leurs parties ? Ce n’est qu’une rumeur mais la question agite la presse depuis le 19 mai. Et se pose peut-être chez Google, qui réaliserait cette acquisition au travers de YouTube. Une opération banale dans le domaine des nouvelles technologies au montant assez important pour illuminer Twitch, jusque-là confidentielle.
Cela peut sembler beaucoup pour une simple plateforme de livestreaming, alors que Google avait déboursé 1,65 milliard en 2006 pour s’offrir YouTube. De plus le réseau de partage vidéo propose cette fonctionnalité depuis décembre dernier. Mais un tel montant reste assez rare pour souligner le potentiel stratégique représenté par Twitch, qui comme YouTube en son temps dépasse le simple intérêt technologique.
Twitch occupe plus de bande passante que Facebook
Lancé en 2011, Twitch attire aujourd’hui 45 millions d’utilisateurs mensuels. Comme sur YouTube, certains se sont fait une notoriété sur le réseau, des joueurs diffusant leurs exploits à ceux privilégiant l’interactivité avec leur communauté. Selon l’analyste Sandvine, la plateforme représente à l’heure de pointe 1,35% du trafic Internet nord-américain, plus que Facebook ou Tumblr. La start-up basée à San Francisco embauche 80 employés dont la majorité s’échine à améliorer la qualité des vidéos diffusées tout en réduisant la consommation en bande passante. Travailler sous l’égide de Google pourrait leur faciliter la tâche. D’autant que la plateforme s’est récemment ouverte aux joueurs de consoles.
Les géants du net, qui ont tendance à investir dans tous les domaines ayant rapport, de près ou de loin, avec les nouvelles technologies, ont saisi l’importance d’un secteur à l’audience croissante : la chaîne qui compte le plus d’abonnés sur YouTube est celle de Pewdiepie, un joueur suédois. L’intérêt de Google, plus grande agence publicitaire au monde, serait avec Twitch d’étendre son offre auprès des annonceurs tout en se positionnant comme un acteur phare dans le monde du e-sport.
L’intérêt des compétitions e-sportives
Certains jeux donnent en effet lieu à de véritables compétitions sportives opposant des équipes de joueurs professionnels. Les fameuses licences Call of Duty ou Starcraft sont concernées, mais le jeu le plus emblématique est sans doute League of Legends. Depuis son lancement en 2009, il a dépassé World of Warcraft en nombre d’inscrits et d’heures jouées, devenant le jeu vidéo le plus populaire au monde (http://bit.ly/1gzzloZ).
« LoL » est un MOBA, comprenez Multiplayer online battle arena, une arène dans laquelle s’affrontent deux équipes de cinq joueurs. Selon Wikipédia, ce type de jeu peut être comparé « aux sports collectifs, tels que le basket-ball ou le football » car chaque joueur a un rôle très précis. Les joueurs professionnels peuvent obtenir un visa américain en tant que sportifs de haut-niveau. Cet aspect sportif est complété par une dimension tactique poussée, ainsi que par l’énorme investissement personnel demandé aux joueurs qui doivent connaitre et maîtriser des dizaines et des dizaines de personnages, soit autant de façon de jouer. Comme au basket ou au football, les matchs de haut-niveau peuvent être spectaculaires.
De quoi attirer près de 32 millions de téléspectateurs en octobre dernier à l’occasion des Championnats du monde, avec un pic de 8,2 millions de connexions simultanées. Mieux que les 8 millions d’internautes qui avaient regardé en live le saut stratosphérique de Félix Baumgartner sur YouTube. Début mai, on a même vu 25 000 personnes payer plusieurs dizaines d’euros pour assister au All Star Game organisé au Zénith de Paris (http://bit.ly/1oILfgB ). L’e-sport permet aux studios et aux médias comme Twitch de dégager des revenus supplémentaires au travers de l’organisation d’évènements et de produits dérivés. Un nouvel argument pour attirer les investisseurs comme Google.
Les jeux free-to-play s’imposent en modèle
Mais ces éléments paraissent anecdotiques par rapport au chiffre d’affaires réalisé par un jeu comme League of Legends. L’an passé, il a rapporté la bagatelle de 624 millions de dollars (http://bit.ly/1tlPXB9 ). LoL est pourtant gratuit. C’est un free-to-play. Vous pouvez gratuitement l’installer et jouer avec, mais vous êtes vite amenés à dépenser de l’argent afin d’améliorer vos performances ou simplement, dans le cas de LoL, personnaliser le jeu. C’est un modèle largement répandu dans les secteurs des jeux mobiles et des jeux sociaux dominés par Candy Crush Saga ou encore Clash of Clans. Ils rapportent respectivement près de 900 000 et 1,1 millions de dollars chaque jour (http://read.bi/SetYAz).
Blizzard, l’éditeur de Word of Warcraft a bien saisi l’importance de ce nouveau modèle. Son dernier-né, Hearthstone, a été lancé le 11 avril dernier après plusieurs mois de bêta privée. Ce jeu très dynamique vient de passer la barre des 10 millions de joueurs (http://bit.ly/1mDraYk ). Hearthstone est un jeu de stratégie au tour par tour où les joueurs s’affrontent à l’aide de cartes, à la façon du jeu Magic. Là aussi, vous pouvez enrichir votre collection en jouant gratuitement. Mais obtenir les meilleures cartes et pouvoir ainsi développer des tactiques plus abouties demande du temps. L’achat de paquets de cartes est un raccourci souvent employé par les joueurs.
Comme sur LoL, nombre d’entre eux « streament » en direct leurs parties. Et là aussi, les meilleurs attirent les spectateurs. Twitch est ainsi susceptible d’augmenter considérablement l’audience de ce genre de jeux. Leur gratuité incite à essayer et bien souvent à aimer et dépenser. Google et YouTube, grâce à Twitch, disposeraient d’une tête de pont dans ce secteur à fort potentiel, tant en matière d’audience que de revenus.
Le gaming interactif, vers une nouvelle forme de consommation du jeu vidéo ?
Mais comme souvent lorsqu’on évoque Google, il faut voir l’intérêt d’une opération sur le long terme et l’inclure dans une stratégie bien plus globale. Twitch a un fort potentiel d’audience, source de revenus publicitaires. Mais c’est aussi une communauté, les visiteurs interagissant entre eux et avec les « streamers ».
L’intérêt de la plateforme ne réside pas seulement dans la retransmission de compétitions e-sportives et d’autres pratiques attirent également les vues. On peut citer l’exemple des speedruns, format où des joueurs ont pour défi de terminer un jeu le plus vite possible. Une autre pratique qui se développe consiste à ce que ce soit les internautes qui guident les choix du joueur en cours de partie. Ce « gaming interactif » reste pour l’instant très expérimental mais peut être un pari d’avenir.
Véritable réseau social qui s’ignore ou promoteur d’un gaming interactif révolutionnaire, plateforme vidéo à la pointe du livestreaming ou canal incontournable de la diffusion du e-sport… Le potentiel de Twitch reste difficile à définir, mais il est indéniable. Il grandit au fur et à mesure de la montée en puissance et de la transformation « digitale » du secteur des jeux vidéo, via le cloud, la réalité augmentée ou son aspect social. En somme un gros gâteau appétissant, toujours en train de lever, et auquel Google aimerait bien goûter en faisant de Twitch sa petite cuillère.