Élections européennes : le FPO, un Front national autrichien ?

Thierry Avice
12 Mars 2014



Autriche – Alors que les élections européennes se dérouleront le 25 mai 2014, l’extrême droite autrichienne est à son sommet de popularité. Cette situation fait écho à la progression du Front National (FN) en France. Mais peut-on vraiment assimiler le FN au FPÖ ? Analyse.


Dynamique électorale et liens stratégiques.

29 septembre 2013. Le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs – Parti libertaire autrichien) obtient 20,5 % des voix lors des élections législatives autrichiennes, et s’affirme comme troisième parti autrichien et principal parti d’extrême droite du pays. Cette victoire du FPÖ s’inscrit dans un contexte de progression générale de l’extrême droite populiste autrichienne, qui comptabilise à elle seule environ 30 %  des suffrages exprimés, pour trois partis en course. Le FPÖ vient, par la même occasion, confirmer son ascension électorale entamée depuis 1986 et la reprise en main du parti par le charismatique Jörg Haider. Aujourd’hui, et depuis 2005, c’est Heinz-Christian (« HC ») Strache qui est à la tête du parti, et qui compte bien, après ce succès national, triompher aux élections européennes.
Les ambitions du Front National et de sa présidente Marine Le Pen ne sont pas moindres. Le FN est également, depuis l’élection présidentielle de 2012, le troisième parti sur la scène politique française. Mais les éléments de comparaison ne s’arrêtent pas là.
Preuve, s’il en fallait, de cette complicité entre les deux factions politiques : l’invitation de M. Le Pen, en pleine campagne présidentielle 2012, au bal de la Hofburg, à Vienne, rassemblant la fine fleur européenne de l’extrême droite. Les deux partis n’ont jamais caché leur affinité politique : le 8 juin 2011, lors d’une conférence de presse commune, H.-C. Strache et M. Le Pen reconnaissaient la similarité de leurs buts politiques et de leurs aspirations européennes. À quelques mois des élections européennes, les dirigeants du FN et du FPÖ se sont de nouveau rencontrés pour harmoniser leur projet européen et envisager une alliance à l’échelle du vieux continent. Le but avoué d’une telle union serait de constituer une « troisième force » au Parlement européen, ainsi que l’annonçait le 18 novembre dernier H.-C. Strache.
Si le Front national et le Parti libertaire autrichien affirment avoir les mêmes buts politiques, peut-on cependant dire que le FPÖ est un Front National autrichien ?
Délégation du FPÖ au Parlement autrichien, Octobre 2013. Crédit photo Thierry Avice
Délégation du FPÖ au Parlement autrichien, Octobre 2013. Crédit photo Thierry Avice

Deux partis aux origines fascisantes.

Le VdU (Verein der Unabhängigen – Union des indépendants), ancêtre du FPÖ, est fondé en 1949, dans l’immédiate après-guerre. La dénazification a cédé face aux lois d’amnistie, et le VdU, qui obtient 11.7 % aux élections de 1949, représente une façade politique pour les anciens membres du NSDAP, parti national-socialiste hitlérien. En 1956, le FPÖ succède au VdU. Le parti restera dans la marge face aux deux géants politiques que sont le Parti Socialiste Autrichien (SPÖ) et le Parti Populaire Autrichien (ÖVP). Ce n’est que dans les années 1980, avec l’érosion du système de grande coalition entre les deux principaux partis, que le FPÖ connaîtra ses premiers succès, avec notamment une première participation gouvernementale aux côtés du SPÖ entre 1983 et 1986. En 1986, J. Haider devient président du parti et assume pour la première fois l’inclination populiste de son parti. De 2000 à 2006, le FPÖ est à nouveau au pouvoir, dans le gouvernement du chancelier ÖVP Schlüssel. En 2005, H.-C. Strache détrône J. Haider, qui fonde le BZÖ (Bündnis für die Zunkunft Österreichs – Alliance pour l’avenir de l’Autriche) et entraîne avec lui une partie des adhérents du FPÖ. Mais sa mort, en 2008, laisse la voie libre au FPÖ de H.-C. Strache qui s’impose, loin devant le BZÖ, comme le premier parti d’extrême droite en Autriche.
Le Front National n’a pas grand-chose à envier aux origines du FPÖ. C’est le groupe fascisant « Ordre Nouveau » qui est à l’origine de la fondation du parti, en 1972. Le FN prend alors comme symbole une flamme empruntée au parti mussolinien MSI (Movimento sociale italiano – Mouvement social italien).

Des leaders charismatiques.

La figure dirigeante est au centre du FPÖ et du FN. J. Haider a ainsi été, pendant de longues années, la figure politique autrichienne la plus renommée à l’international. J. Haider a incarné la nouvelle politique du parti, et notamment ses changements de position radicaux vis-à-vis de l’Europe : tandis que son prédécesseur, N. Steger, incarnait une ligne favorable à l’intégration européenne, Haider a préféré s’orienter vers un euroscepticisme radical. J. Haider a également fait parler de lui à cause de nombreux dérapages verbaux plus ou moins contrôlés qui ne sont pas sans rappeler ceux de J.-M. Le Pen : ainsi Haider a-t-il par exemple, en 1991, complimenté le Troisième Reich pour sa politique de l’emploi. Malgré ces écarts, le chef du FPÖ a représenté jusqu’à sa mort un exemple à suivre pour l’extrême droite européenne. Il est considéré comme la figure symbolique du populisme. H.-C. Strache, qui s’est installé à la tête du parti de Haider en 2005, suit les traces de son aîné, même s’il affirme que Haider n’est pas un modèle pour lui. Strache, 44 ans, s’est efforcé, depuis 2005, de construire une image jeune et dynamique de son parti. Ces deux figures du FPÖ partagent avec Jean-Marie et Marine Le Pen un talent de tribun. À cette autorité charismatique s’ajoute une autorité quasi dynastique : de la même façon que M. Le Pen a pris la relève de son père en 2011, Ulrike Haider-Quercia, la fille aînée de Jörg Haider, a annoncé fin février qu’elle serait la tête de liste du BZÖ pour les élections européennes à venir.

Des techniques de communication diversifiées.

La communication populiste est caractérisée par différentes techniques principales. Le culte du chef est une des principales particularités de cette communication. La mise en scène du leader politique est centrale, puisque le chef incarne le parti et l’image que doivent s’en faire les électeurs.
Le FPÖ pratique une diversification des médias de communication en fonction des groupes cibles identifiés. Le nom de H.-C. Strache (« HC ») est décliné comme une marque par le parti : il existe des bandes dessinées mettant en scène HC-Man (combattant parfois de méchants immigrés turcs…), version comics d’un Strache bodybuildé. Strache est aussi un redoutable communicant, notamment auprès des jeunes. Ainsi, il fréquente souvent les boîtes de nuit branchées de Vienne. Il est également chanteur de rap, et a développé des chansons partisanes s’adressant aux adolescents autrichiens[[1]]url:#_ftn1 . Le FN, en comparaison, adopte une stratégie de communication bien plus classique, préférant par exemple la Marseillaise à tout autre chant.
Le FPÖ pratique une politique de provocation, n’hésitant pas à exprimer ses idées politiques via des slogans parfois clairement xénophobes (« Liebe deine Nächsten – für mich sind das unsere Österreicher », ou « Aime ton prochain s’il est autrichien »). Le FN est, depuis l’élection de M. Le Pen comme présidente, globalement plus mesuré dans ses propos.
 Le FN et le FPÖ se rejoignent sur la pratique de « campagne négative » (negative campaigning) ; cette pratique consistant à dénigrer son adversaire plus qu’à venter ses propres arguments a représenté une véritable révolution dans une Autriche marquée par la culture du consensus.
Autre point de jonction des communications française et autrichienne : pour convaincre les électeurs de la pertinence de la solution populiste, il s’agit d’attiser leur peur. Il peut s’agir de la peur de la mondialisation, de la finance ou de l’immigration.
Pour répondre aux attaques de leurs opposants politiques, le FN et le FPÖ n’hésitent pas à dénoncer une certaine victimisation. Un des slogans de Haider, repris d’ailleurs par Strache, est ainsi formulé : « Sie sind gegen ihn. Weil er für euch ist » (« Ils sont contre lui car il est pour vous »).
La dédiabolisation constitue une particularité intéressante du modèle de communication frontiste. M. Le Pen, s’efforce depuis 2011 d’effacer l’image négative qui colle à son parti et qui l’isole du reste de la vie politique. Il n’existe pas de tel « cordon sanitaire » vis-à-vis de l’extrême droite en Autriche. Le FPÖ a ainsi été, depuis sa création, membre de trois gouvernements de coalition. Le Parti libertaire autrichien n’est même pas considéré comme un parti d’extrême droite en Autriche ; à l’assemblée, il siège au centre de l’hémicycle. Le FPÖ, tout comme le FN, refuse d’ailleurs cette étiquette d’« extrême droite ».  

Des programmes adaptés à l’environnement politique.

La principale spécificité idéologique des partis populistes est, selon l’universitaire néerlandais C. Mudde, de ne pas avoir d’idéologie. C. Mudde parle de « cœur vide » (« empty heart ») du populisme. Le FN et le FPÖ s’adaptent ainsi constamment à la conjoncture, pour répondre aux peurs et aux besoins immédiats des potentiels électeurs. Dans cette optique, ces partis sont de véritables machines électorales ; cette caractéristique explique en partie la dynamique extrémiste en Europe dans un contexte économique et social tendu. Mais cette forte adaptabilité idéologique peut générer des contradictions programmatiques : entre 1985 et 1986, le FPÖ est ainsi passé d’une politique pro-européenne à une politique eurosceptique. De même, le FN de J.-M. Le Pen était profondément libéral ; depuis 2008, le discours frontiste ne cesse de dénoncer les pouvoirs financiers.
On peut cependant déceler quelques thèmes récurrents dans la communication du FN et du FPÖ. Les deux partis prônent une politique identitaire, qui s’exprime par la construction d’ennemis et de boucs émissaires. Le fondement de cette politique identitaire est le patriotisme – et dans le cas autrichien, un retour aux mythes pangermanistes. La vision du peuple comme un peuple uni est aussi fondamentale ; tous les éléments venant briser cette union supposée (étrangers, opposants) sont considérés comme indésirables. La critique du régime politique en place est le dernier axe programmatique du FN et du FPÖ. J.-M. Le Pen a ainsi longtemps défendu l’idée d’une 6e république. Les dirigeants du FPÖ critiquent quant à eux l’hégémonie du SPÖ et du ÖVP, et la culture du consensus autrichienne qui les exclut de la vie politique.

Les raisons du vote FN ou FPÖ ?

Le FN et le FPÖ s’appuient sur une certaine lassitude politique, alimentée en France par la précarité socio-économique d’une tranche de la population, et en Autriche par les scandales qui ont éclaboussé le système de grande coalition. Le FPÖ a pour base la jeunesse autrichienne peu politisée. Si le FN tente de diversifier sa base électorale en tentant de s’ouvrir à la jeunesse, la moyenne d’âge de ses électeurs reste plus élevée.
L’électeur frontiste moyen appartient à une classe peu aisée de la population française, touchée par la crise. L’électeur du FPÖ serait plutôt un petit propriétaire craignant pour ses biens. La position économique favorisée de l’Autriche (qui ne compte que 5 % de chômeurs) explique cette divergence.
La xénophobie (ou du moins la peur de l’immigration) reste enfin un des facteurs principaux du vote extrême.
 
 
Le FN et le FPÖ sont donc similaires sur bien des aspects : mêmes origines fascisantes, même importance du leader, techniques de communication souvent semblables. Mais quelques spécificités distinguent ces deux partis : le FPÖ a su diversifier ses techniques de communication alors que le FN se cantonne à une stratégie plus traditionnelle. Le FPÖ est un parti accepté par son entourage politique, et qui n’hésite pourtant pas à user d’une rhétorique xénophobe, tandis que le FN est un parti relativement marginalisé en quête de dédiabolisation. Le FPÖ est enfin un parti qui s’appuie essentiellement sur la jeunesse ; le FN est quant à lui un parti basé sur un électorat plus âgé et fragilisé par la crise.
Il reste à voir si le FN et le FPÖ pourront surmonter ces différences pour mener une politique européenne commune, dans un cadre institutionnel dont ils réfutent la légitimité…
 
 
[[1]]url:#_ftnref1 Les jeunes autrichiens peuvent voter à partir de 16 ans.

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