Comprendre l'organisation de l'État islamique (1/2)

Les acteurs de la montée en puissance de l'organisation

Mathilde l'Hôte
8 Décembre 2014



L’organisation islamiste sunnite de l’Etat islamique (EI), créée en 2006, est réellement devenue connue aux yeux du public le 10 juin 2014 avec la prise de Mossoul (au nord de l’Irak) et la déclaration de la création du Califat par le leader Abou Bakr Al-Baghadi. Le groupe contrôle désormais de larges pans des territoires syriens et irakiens dont la taille totale est équivalente au territoire du Royaume-Uni. En plus de cette assise territoriale, le groupe a annoncé le jeudi 13 novembre son souhait de frapper sa propre monnaie pour ainsi créer son système économique. Comment l’organisation de l’Etat islamique a-t-elle réussi à asseoir une telle domination ? Retour sur les principaux éléments de la montée en puissance du groupe.


Crédit DR
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Depuis les débuts de la guerre civile syrienne, la responsabilité, directe et indirecte, de Bachar Al-Assad est pointée du doigt par la communauté internationale. Comme le souligne le Ministre des Affaires étrangères français dans un discours à New-York le 27 septembre 2014, « C’est le régime qui a fait de ce groupe ce qu’il est, en l’instrumentalisant pour faire barrage à ceux qui voulaient changer le régime. » En effet, alors que l’opposition syrienne s’est tout d’abord organisée de façon pacifique pour lutter contre le régime, Bachar Al-Assad a fait libérer de nombreux islamistes radicaux qui sont aujourd’hui devenus des acteurs-clé de groupes djihadistes comme le front Al-Nesra ou encore l’organisation de l’EI.

Aussi, et plus indirectement, le régime a favorisé le développement de cette organisation avec le vide politique créé par la guerre civile. Il faut souligner l’absence d’action militaire des autorités contre les groupes islamiques ainsi que la complaisance face à la contrebande de pétrole en provenance des zones contrôlées par l’organisation (vallée de l’Euphrate) tout en sachant qu’il s’agit d’une source financière importante pour l’organisation. 

L’intention de Bachar Al-Assad dans ce processus était claire : déstabiliser son propre pays et radicaliser l’opposition dans le but d’asseoir sa légitimité au niveau international, en se présentant comme le seul rempart contre le terrorisme dans le pays. Toutefois, s’il est évident que ces faits ont largement accéléré le développement de l’organisation de l’Etat islamique, le groupe s’est construit un support régional significatif depuis 2003.

La guerre en Irak et la création de l’organisation de l’EI

L’Irak est un pays majoritairement musulman dont 17% d’entre eux sont sunnites et 77% chiites. Dès 2003, cette différence a été exacerbée par l’intervention étrangère dans le pays et la mise en place d’un gouvernement intérimaire puis transitoire, respectivement en 2004 et 2005. En effet, le Président chiite Ibrahim al-Jaafari a mené une politique sectaire en rejetant la minorité sunnite de la vie politique du pays. A titre d’exemple, aucun ministre sunnite n’a été nommé aux porte-feuilles stratégiques comme la Défense, l’Intérieur ou encore les Affaires Etrangères. Ils ont été relayés à des postes protocolaires n’ayant pas de réel impact sur la politique du pays.  Parallèlement, alors que l’armée de Saddam Hussein a été démantelée, de nombreux officiers et sous-officiers se sont engagés dans la rebelle sunnite. Beaucoup d’entre eux se retrouvent aujourd’hui à des postes-clé de l’organisation de l’EI, qui s’appuie sur un encadrement majoritairement irakien.

L’opposition, en plus de se mobiliser contre le pouvoir chiite, s’est organisée dans le pays pour lutter contre la présence étrangère. La création d’Al Qaeda en Irak (AQI) est poussée par l’idée de combattre la présence occidentale dans la région. A la mort du leader Abu Musad Al-Zarqawi en 2006, l’organisation prend le tournant d’une violence encore plus exacerbée. Aussi, le leadership est discuté entre l’officiel nouveau leader, Abu Hamza al Muhajir, et Al-Baghadi qui le concurrence et annonce la création de l’organisation de l’EI la même année. Ce nouveau groupe, composé principalement d’anciens membres d’Al-Qaeda en Irak, marque une divergence de vision entre la nouvelle génération djihadiste et la direction idéologique d’Al-Qaeda. En effet, l’objectif d’Al-Baghadi est plus territorialisé et il dirige au premier abord sa lutte contre le pouvoir chiite Irakien mais aussi Syrien. Il annonce d’ailleurs en 2007 que « Al-Qaeda en Irak n’existe plus. »

La complaisance des pays du Golfe Persique

Cette rivalité entre sunnisme et chiisme s’étend au-delà des frontières irakiennes et syriennes et affecte les alliances politiques de tout le Moyen-Orient. Cela s’inscrit d’ailleurs dans une dynamique que certains appellent « la nouvelle guerre froide » entre l’Iran, majoritairement chiite, et l’Arabie Saoudite, majoritairement sunnite. Dans ce contexte, l’implication des pays du Golfe dans le financement des groupes islamistes présents en Syrie et en Irak n’est autre que la participation à une guerre par correspondance avec l’Iran. 

Si le Koweit, le Bahrein et Abou Dhabi sont connus comme étant favorables à ces groupes, l’Arabie Saoudite est sans aucun doute le pays qui leur offre le plus de supports politique, financier et militaire. En effet, le régime saoudien n’a jamais accepté le régime chiite irakien suite à la tombée de Saddam Hussein, suspectant l’influence directe de l’Iran dans la politique irakienne. Parallèlement, les aspirations démocratiques du Moyen-Orient, prenant de l’importance suite au Printemps Arabe, menacent directement la survie politique de la famille Saoud régnante, qui met en œuvre des politiques radicales en appliquant une interprétation fondamentaliste de l’Islam dans le pays. En ce sens, le financement des groupes islamistes les plus réactionnaires et contestataires est un moyen, pour le pouvoir saoudien, d’assurer sa longévité et de lutter contre les pouvoirs chiites installés dans la région. La complaisance de la Turquie à l’égard de l’organisation de l’Etat islamique est donc un moyen de lutter contre ce risque indépendantiste. En ce sens, le financement des groupes islamistes les plus réactionnaires et contestataires est un moyen, pour le pouvoir saoudien, d’assurer sa longévité et de lutter contre les pouvoirs chiites installés dans la région. La complaisance de la Turquie à l’égard de l’organisation de l’Etat islamique est donc un moyen de lutter contre ce risque indépendantiste.

Le rôle ambigu de la Turquie

Quant à la Turquie, si elle rompt avec le régime de Bashar Al-Assad en 2011 et souhaite la déstabilisation du régime en place, sa grande préoccupation se porte sur la question kurde. En effet, 16% de la population du pays est kurde, principalement située dans le sud-est du pays, à la frontière de la Syrie. Cette population n'est toutefois pas reconnue par le pouvoir qui l'a traitée comme une minorité turque, alors que les Kurdes sont des descendants du peuple iranien. Lors de la guerre civile en Syrie, les Kurdes, qui représentent 9% de la population, se sont positionnés dans l'opposition avec un objectif nationaliste et d'autonomie territoriale. Ce cas de figure pourrait avoir une influence sans précédent sur le mouvement indépendantiste kurde de Turquie. 


La complaisance de la Turquie à l’égard de l’organisation de l’Etat islamique est donc un moyen de lutter contre ce risque indépendantiste. Si le gouvernement a toujours dénié tout support à l’organisation terroriste, il est prouvé que l’action du MIT, service de renseignement turc, a participé au développement du groupe. En effet, lors des débuts du conflit syrien, aucun contrôle n’a été effectué à propos des candidats djihadistes européens et russes affluant par la Turquie, des combattants djihadistes ont été accueillis dans des hôpitaux turcs frontaliers et la contrebande d’armes à destination de l’organisation de l’EI n’a que très peu été inquiétée.

Finalement, l’organisation de l’EI a profité d’une région déstabilisée et déchirée par différentes interprétations de l’Islam, la présence et les interventions étrangères, la façon de gérer politiquement les minorités et surtout, la volonté de nombreux politiques de se concentrer sur leur survie politique au détriment d’une stabilisation de la région. Tous ces éléments ont activement participé à la création d’un mouvement djihadiste d’un nouveau type représentant une menace certaine pour la région toute entière.

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