Brésil : entre inégalités et progrès

Mathilde Mossard
22 Mars 2013



Le pays de Dilma Rousseff est en plein chantier. Si les inégalités notamment raciales demeurent, le géant pourrait bien se révéler plus en avance que jamais.


Brésil : entre inégalités et progrès
L’inégalité est sans doute le mot qui résume toute sa situation sociale. Pendant des décennies, le Brésil détenait le triste record du pays le plus inégalitaire au monde. Les favelas en sont le symbole. Mais encore faut-il distinguer les favelas pacifiées de luxe de la zone sud de Rio de Janeiro, aux favelas bidonvilles de São Paulo où vivent de nombreux toxicomanes et où la criminalité est effroyable.

D'abord urbaine, cette inégalité renvoie surtout à une construction nationale difficile. Car l’Etat brésilien est jeune. Libéré en 1822, suite à la proclamation de l’indépendance par le fils du roi du Portugal, le pays naît sans révolte populaire mais avec un esprit pionnier de la part des colons portugais. A l’époque, l’or attire beaucoup d’immigrés dans la région du Minas Gerais (mines générales, proche de Rio de Janeiro et de São Paulo) puis au siècle suivant, le café assoit la supériorité économique de l’Etat de São Paulo. Ces cycles économiques ont favorisé le système agricole. Dans ces grandes exploitations (les latifundios), les propriétaires et les travailleurs saisonniers ont remplacé les colons et les esclaves. Les statuts ont donc changé, mais pas les couleurs de peau. 

Aujourd'hui, les inégalités persistent : inégalités géographiques qui font du Nordeste une région vue comme pauvre, où jamais aucune production économique n’a été capable de l’enrichir, et inégalités sociales et raciales qui se confondent et nous renvoient à l’esclavagisme. 

Les chiffres économiques sont aussi peu réjouissants. Après des décennies de régime militaire, le pays retrouve la démocratie en 1989 et affiche dans les années 2000 une croissance forte... Qui ralentit fortement par la suite. En cause, notamment, un manque de main d’œuvre qualifiée. Ce déficit reflète l’échec de dizaines de gouvernements successifs pour éduquer les masses pauvres. Des pans entiers de la population sont toujours marginalisés. 

Un pays en plein chantier

Mais le Brésil se trouve sur la bonne voie. Les politiques sociales du très populaire ex-président Lula ont permis l’émergence d’une classe moyenne, d’une part par la sortie de la pauvreté de 40 millions de personnes entre 2003 et 2011, d’autre part par la formation d’une nouvelle génération issue de parents provenant de la classe moyenne basse. 

L’actuelle présidente Dilma Rousseff, naturelle successeur de Lula (venant du même parti, le Parti des Travailleurs) prolonge ce qu’on appelle déjà le Lulisme. Fin 2012, elle a permis l’instauration de quotas ethniques dans les universités brésiliennes, pour que les noirs présents sur les campus brésiliens ne soient pas seulement les balayeurs. Cette mesure a suscité le débat puisque la considération ethnique s’effectue sur l’auto-identification (autrement dit un blanc se considérant noir peut par définition être pris en compte par un quota), dans un pays où la couleur de peau peut parfois être interprétée différemment en terme d’identité. Toujours est-il qu’elle a le mérite de continuer le volontarisme politique.
Un autre événement politique phare de 2012 reste l’ouverture du procès dit du « Mensalão » : 58 politiciens y sont accusés de corruption. Historique par le nombre et l’importance des accusés, ce procès a lieu au Tribunal suprême. Le Brésil s’attaque à l’un de ses démons, la corruption. 

Le Brésil avance, même s'il est en plein chantier, où tout reste encore à faire. Le pays prend ses marques, s’identifie et montre de quoi il est capable. Précurseur du Mercosud (marché commun sud-américain), le Brésil est très actif dans les institutions internationales pour défendre le multilatéralisme politique (Organisation mondiale du commerce, demande d’entrée au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU en tant que membre permanent...). Le sommet international Rio+20 s'était tenu à Rio de Janeiro en juin 2012, la ville accueillera également la coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques de 2016. De fait, la ville est en plein chantier à l’image du pays. Pays qui se voit un bel avenir dans le soft power : résolument pacifiste, le discours en faveur du multilatéralisme et du développement durable séduit.

Le Brésil n’a (presque) plus besoin des Etats-Unis pour exister et cela se sent dans sa liberté de paroles. D’ailleurs, ce pays si jeune, multiculturel et multiethnique, qui a élu une femme comme chef d’Etat, est-il en retard, ou serait-il en avance ? Alexis de Tocqueville en rentrant d’Amérique disait des Etats-Unis qu’ils représentaient non pas le passé de l’Europe comme certains à l’époque le pensaient (il lui restait à effectuer toutes les phases de la construction d’un pays que l’Europe avait déjà faites), mais l’avenir. Alors, le Brésil, pays d’immigration, de mélanges ethniques est-il en avance ou en retard ?

Le sentiment d’élévation du pays est présent dans les médias brésiliens. Une pub pour une marque de whisky reflète ce sentiment actuel : sous le décor de Rio de Janeiro et avec une musique doucement triomphante, on voit se lever un géant de pierres et le slogan de nous dire « le géant n’est plus endormi ». Serait-ce le Salut (enfin ?) du Corcovado (Christ Rédempteur) surplombant Rio de Janeiro qui atteint le Brésil ? Si la machine est en marche, elle devra cependant se montrer robuste face aux défis sociétaux qui l’attendent.

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